La méfiance réciproque devra céder le pas à « l’apprivoisement mutuel » lors du déjeuner entre le président et son homologue français. Sous des airs de décontraction, les attentes des deux côtés sont perceptibles d’après les informations recueillies par Le Monde.
Pour sa première visite hors d’Afrique depuis son élection en mars, le nouveau président sénégalais Bassirou Diomaye Faye a choisi Paris. Un déplacement certes qualifié de « non officiel », mais hautement symbolique selon les indiscrétions recueillies par Le Monde.
« Il ne s’agit pas d’une visite officielle, mais d’un déjeuner pour faire connaissance », tempère l’entourage de M. Faye, soucieux d’éviter les accusations de « vassalité » envers l’ancienne puissance coloniale. Une précaution d’autant plus nécessaire que les relations entre le parti au pouvoir, le Pastef, et la France sont historiquement empreintes de méfiance.
Depuis 2014, cette formation panafricaniste a fait du « rejet de la présence française au Sénégal et du franc CFA » un marqueur de son programme, le qualifiant d' »instrument néocolonial ». Si le ton s’est adouci après la victoire de Faye, les critiques persistent, comme lorsque le Premier ministre Ousmane Sonko a directement attaqué la politique africaine d’Emmanuel Macron devant Jean-Luc Mélenchon.
« Nous y avons presque cru lorsque le président Macron déclinait la nouvelle doctrine africaine de l’Élysée, [le] refus de tout soutien politique à des régimes autoritaires et corrompus. Ce n’est pas ce qui s’est passé au Sénégal », a-t-il lancé, selon Le Monde.
Apprivoisement en cours
Malgré ces tensions, l’heure semble désormais à « l’apprivoisement mutuel ». « On parlait de défiance de notre part et pourtant nous réservons notre premier voyage hors d’Afrique à la France », souligne un proche conseiller du président Faye, cité par Le Monde. « Cela montre notre volonté de raffermir les liens avec ce pays qui demeure un partenaire privilégié. »
Du côté français aussi, on veut croire que « si l’on réussit, on va tuer l’activisme panafricaniste mortifère », espère un fonctionnaire des Affaires étrangères en faisant allusion à la militante Nathalie Yamb.
Ce « déjeuner opportun » doit ainsi permettre aux deux présidents d' »apprendre à se découvrir ». Pour l’Élysée, l’enjeu sera d’être « à l’écoute » afin de « redéfinir » la relation bilatérale, notamment sur les questions migratoires, la formation des jeunes ou les visas.
« Notre objectif est de nous assurer que notre aide au développement corresponde aux priorités des nouvelles autorités sénégalaises », indique la présidence française au Monde.
Stabilité régionale et mémoire
Auprès du journal, on évoque aussi l’espoir sénégalais de « renforcer la stature internationale » de Bassirou Diomaye Faye, devenu un médiateur écouté dans les crises au Sahel. « La France gagnerait à appuyer ses efforts », plaide un diplomate africain.
L’avenir de la présence militaire française à Dakar, avec ses 320 soldats, pourrait aussi être discuté. Tout comme la « reconfiguration » voulue par Paris, dans une volonté de « coconstruire » une décision.
Dernière épine sensible : la question mémorielle. Certains à Dakar espèrent que Macron, qui en a fait un « levier diplomatique », abordera le massacre de Thiaroye en 1944. L’association des tirailleurs sénégalais a transmis des propositions à l’Élysée, comme la panthéonisation d’un ancien tirailleur ou des « excuses » du président français.
Un sommet de la Francophonie à l’automne permettrait une visite officielle de Macron à Dakar. Mais dans quel contexte politique ? Le chemin vers l’apaisement des tensions postcoloniales s’annonce encore long pour les deux présidents.